BJØRN STRANDENES

BIOGRAPHIE

Né en 1958, le peintre norvégien Bjørn Strandenes n’a plus exposé en France depuis 2003. Même si ses tableaux sont bien ancrés dans la mouvance de l’art nordique caractérisé par la sobriété et la sérénité, ils sont  originaux dans leur composition. L’artiste ne crée pas au cœur des villes mais choisit un point de vue extérieur. La ville n’est plus une entité mais l’élément d’un grand paysage naturel d’où l’expression « entre figuration et abstraction » pour qualifier ses œuvres souvent confondues avec des photographies. Ses créations, le plus souvent de grande taille, sont plongées dans une obscurité bleutée et seulement éclairées dans le lointain par les lumières artificielles d’une ville. Ses dernières œuvres seront à découvrir à la galerie en novembre 2015.

INTERVIEW DE BJØRN STRANDENES PAR CLEMENT THIBAUT – A&F MARKETS 

Cela va être votre première exposition chez Sylvie Le Page ?
Oui, mais ce n’est pas la première fois que je viens à Paris. J’y ai déjà eu une exposition en 2003. C’était une opportunité de découvrir la ville. Je souhaite comprendre la mentalité du pays, sa culture. Je pense qu’un artiste doit établir des connexions avec les lieux dans lesquels il évolue, prendre le temps de les connaître. Avec mes peintures, je recherche cela : ne pas me presser, établir des connexions. En ce sens, chacune de mes toiles est un voyage. 

Récemment, j’ai visité beaucoup de galeries à Paris. Ce qu’elles présentent est très diversifié, mais beaucoup se contentent de montrer l’art « tendance ». Il y a une certaine liberté qui se dégage de Sylvie Le Page, et elle est très sensible. Je n’ai pas envie d’être guidé par le système, ou que mes oeuvres soient dictées par le marché. Tant que je travaillerai, je serai heureux de réaliser ces voyages de manière indépendante.

Comment peignez-vous ?
Je cherche la lumière, notre lumière. Or, la lumière est un voyage. C’est ce que j’essaie de reproduire, couche par couche, avec mes peintures. Généralement, je dispose de premières couches sombres —  noire, marron. Puis j’ajoute des couches, parfois plus claires, jusqu’à en accumuler parfois une vingtaine. Je les gratte, avec du papier, un couteau. Je cherche ce qu’il se cache sous la matière. Parfois, je vais trop loin, et je suis obligé de recommencer la peinture. 

Cela est d’autant plus vrai que, me consacrant à la peinture à l’huile, je travaille souvent plusieurs toiles en même temps — le temps que les couches sèchent. Je suis en perpétuel équilibre entre plusieurs voyages. 

Quand savez-vous que le voyage touche à sa fin ?
Il n’est jamais fini et c’est bien le problème. J’essaie de me concentrer sur mes sensations. Je n’ai jamais recours à l’ivresse, d’où qu’elle vienne. Je préfère me concentrer sur mes sensations, sur la connexion que j’entretiens avec la Nature. Dans mon travail, je ne recrée pas la Nature. Je recrée la perception que j’ai d’elle.

À quel type de connexion faites-vous référence ?
Une connexion à la Nature, une connexion aux autres. Le voyage mental qu’offrent mes peintures demande du silence. Il exige que les personnes qui observent mes toiles stoppent leur activité, se concentrent et se calment. Ce que l’on voit, ce que l’on ressent, n’est pas manifeste ou similaire pour tous. Cela dépend du voyage de chacun. Je ne voudrais pas que quelqu’un apprécie toutes mes peintures, cela n’aurait pas de sens. Tous les voyages que je réalise au travers de mes toiles sont différents et peuvent avoir des échos variables en fonction des personnes. 

Cela dit, j’ai beaucoup de mal à développer un discours sur mon travail. Mon approche est très sensuelle, et repose sur la peinture. Je m’exprime par la peinture. J’essaie de raconter une histoire, de créer un voyage, au travers de chaque tableau. 

Vous comparez votre activité de peintre à la réalisation de voyages. En débutant une nouvelle œuvre, choisissez-vous une inflexion, une destination particulière ?
Pour les critiques, je travaille entre l’abstraction et la figuration. Parfois, ce que je perçois est assez évident. Parfois, c’est plus vertigineux, moins clair. Cela dépend donc de ma manière de percevoir à un instant donné. 

La Nature n’est que le point de départ. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus à l’aise avec l’informatique qu’avec la Nature. Ce que je souhaite, c’est rétablir un rapport entre l’homme et l’homme, entre l’homme et la Nature, sa nature. C’est mon objectif, et ce sera toujours le point de départ de chacun de mes voyages. 

Votre travail n’est pas critique envers la société, mais intègre-t-il une certaine part de résistance ?
Nous avons besoin de tout ce qui nous entoure aujourd’hui — l’informatique, etc. Certaines personnes tentent de s’accaparer un grand pouvoir en prenant le contrôle d’Internet, mais cela reste tout de même un lieu de liberté. 

Je ne dirais pas que nous devons résister contre notre époque et je ne dis pas que nous devrions retourner à l’état de nature. Je ne suis pas contre le progrès. Cependant, je cherche à reconstruire un rapport à la nature que nous avons peut-être perdu. 

Mes peintures ne sont pas le travail d’un homme en colère, ou d’une personne sûre de sa morale. Je ne propose pas mieux, j’invite juste les gens à regarder ce qui se trouve en dessous de la réalité, et que l’on ne perçoit pas nécessairement. 

Vos peintures semblent reposer sur le paradoxe — entre la lumière et la pénombre, l’abstraction et la figuration, la ville et la nature.
Je pense qu’être humain est en lui-même un paradoxe. Ma peinture se nourrit notamment d’un voyage que j’ai effectué seul, dans le Nord, dans un lieu où il n’y a plus d’humain. C’était en 2004. Tout en étant très éloigné de la société et de la vie humaine, je n’ai jamais ressenti une si grande connexion avec les autres qu’à ce moment-là. N’est-ce pas un fabuleux paradoxe ? Parfois on a besoin de distance pour comprendre. 

D’ailleurs, quand on observe les grands buildings de loin, ils ont tout de suite l’air tout petits ! 

Comment êtes-vous venu à la peinture ?
Jeune, je dessinais, notamment parce que deux de mes soeurs étaient architectes et elles-mêmes réalisaient des croquis, ce qui m’a inspiré. Cependant, j’étais aussi un excellent joueur de football. Dans une famille de quatre enfants, dont mes parents devaient s’occuper, ils ont préféré que je m’oriente vers le football. 

Pourtant, à 20 ans, j’ai découvert Edvard Munch. Je suis donc allé au Munchmuseet. En cinq minutes à peine, j’étais sorti du musée en courant. Ses peintures étaient si puissantes. C’est ce jour-là que j’ai compris le pouvoir de la peinture. J’ai décidé de m’inscrire à des cours du soir pour dessiner. 

J’ai ensuite étudié les techniques anciennes. À Venise, j’ai appris la céramique notamment. Je voulais apprendre les bases. C’est la raison pour laquelle j’ai également travaillé avec un restaurateur suédois qui s’occupait de toiles anciennes. Il savait tout, à propos des couleurs, de la peinture à l’huile, des différentes préparations, etc. J’ai tout de suite su qu’il allait devenir une grande source d’inspiration. Dans les écoles d’art, nous n’apprenons plus à manier ces techniques, j’ai donc dû le faire de mon côté. 

Souhaitez-vous vous diversifier, aller au-delà de la peinture ?
J’ai démarré un nouveau voyage, mais tout n’est pas encore prêt. Peut-être que toutes mes années de peintures vont servir à aller vers quelque chose de nouveau ? 

Ne serait-ce que l‘installation par exemple. Je pense que créer une installation est extrêmement complexe. C’est peut-être même la chose la plus complexe à réaliser en tant qu’artiste. Or l’installation m’intéresse, mais peut-être est-ce un voyage qui s’avérera trop long pour moi ? Nous le verrons dans quelques années. 

__________________________________

Clément THIBAULT  – A&F Markets